Revenons un peu sur la notation financière. Régulièrement, des Etats africains critiquent les notes que leur attribuent les agences de notation européennes et américaines, estimant que les spécificités locales ne sont pas prises en compte. En tant qu’ancien patronne de Moodys France, que répondez-vous à cela ?
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C’est une question qui soulève beaucoup de discussions et de polémiques notamment (mais pas que) sur le continent africain. En effet, il existe des agences de notation financières locales. Dans la zone UEMOA, il y a deux agences qui existent. Il y a une nouveauté, l’Union africaine a annoncé la création d’une agence dite panafricaine. C’est un défi majeur, je ne vous le cache pas. Dans la zone Euro, nous avons essayé de faire la même chose, de créer une agence paneuropéenne, car, nous avions le même souci de ne pas être par des agences à capitaux américains. Nous avons essayé pendant 40 ans, de créer une agence européenne, et nous avons échoué. En termes d’expérience similaire, il y a la Chine qui a créé il y a une vingtaine d’années, une agence de notation chinoise, qui s’appelle Dagong. Après 20 ans d’existence, on s’aperçoit que cette agence finalement qui avait commencé un peu à noter à l’extérieur de la Chine, s’est repliée et n’arrive pas à émerger sur la scène internationale.
L’agence panafricaine que vous citez, dont la création a été annoncée pour le 2e semestre 2025, est un défi majeur, que je suis curieuse de voir l’Afrique relever. Parce que si ça fonctionne, ce sera une première. Parce qu’elle ne peut fonctionner que si les investisseurs internationaux adhèrent aux méthodologies de cette agence, et croient aux notations qu’elle émettra. C’est un premier défi.
Le deuxième défi c’est que pour être reconnu sur le plan international, une agence de notation doit noter d’autres zones que la sienne. C’est-à-dire que l’agence de l’Union africaine devra noter par exemple la dette des Etats-Unis, celle de la France, de la Chine… Pas seulement la dette des pays africains. Pour être crédible, une agence doit avoir une zone d’intervention mondiale. Ce qui implique, la mise en place de méthodologies qui ne sont pas seulement locales. Or la grande préoccupation pour des pays Africains est que les agences américaines les notent avec des critères américains. Nous, nous voudrions être notés avec des critères locaux. Sauf qu’aujourd’hui, les investisseurs des marchés des capitaux sont internationaux. Ils ne sont pas locaux. Ils sont partout dans le monde. Et vous ne pouvez pas leur proposer une échelle de notation locale. Ils veulent une sorte de standardisation. Et parmi les annonces qui ont été faites pour cette agence panafricaine, j’ai trouvé qu’il y avait quelques contradictions. C’est-à-dire qu’elle a été créée pour pouvoir tenir compte des spécificités africaines, mais on va faire en sorte qu’elle fonctionne selon les standards internationaux. Les deux ne sont pas vraiment compatibles. Donc, moi j’attends de voir avec curiosité, quelle méthodologie ils vont mettre en place, quelles échelles de notation, quels critères de notation, pour pouvoir noter aussi bien l’Etat du Sénégal, que la France, le Brésil, les Etats Unis…